Édito 2006
Comment avez-vous conçu l’exposition ?
La première édition d’Agora, qui a été un réel succès, parlait surtout d’architecture locale. Notre ambition, avec Philippe Gazeau et Louis Paillard avec qui j’assurais le commissariat d’Agora 2006, a été de donner un rayonnement national à cet événement. La Ville de Bordeaux souhaitait parler d’habitat. Or, quand les architectes abordent cette question, ils privilégient le collectif, l’immeuble de logement. C’est le sujet « chic ». Nous avons décidé de renverser le sujet et de proposer un thème qui parle absolument à tout le monde. Il se trouve qu’à l’époque, je venais de terminer une étude pour la Maison Phénix. Ce qui m’intéressait, c’était le positionnement de la maison dans le quartier, la question du lotissement, celle du paysage…comment changer le regard des gens et déculpabiliser ceux qui veulent habiter dans une maison. Certains professionnels ont tendance à décourager ceux qui aspirent à vivre en habitat individuel, à diaboliser l’habitat individuel et à encenser les immeubles de logements collectifs comme si les choses étaient aussi manichéennes : vous êtes conscients de la Cité : vous vivez en immeuble. Vous gaspillez et êtes néfastes pour l’environnement : à coup sûr, vous habitez une maison individuelle. C’est faux. L’idée pour Agora 2006 était d’étudier la question de la maison de façon inventive, positive, innovante. La maison a toujours été le moyen de faire se rencontrer grand public et architecture, de les faire dialoguer. C’est par la maison que s’amorce une réflexion sur la ville, sur les enjeux de construction, de développement durable. La maison est un vrai sujet, qui parle à tous et depuis toujours et peut aujourd’hui être un lieu d’innovation, d’apprentissage et d’échanges sur les grandes questions architecturales et urbanistiques. Agora 2006 est donc devenu « En ville comme à la maison », pour mettre en évidence que chacun peut comprendre, encourager et réclamer en ville tout ce dont il a fait l’expérience dans sa maison.
Nous avons disposé cinquante grands écrans dans le hangar 14 alors plongé dans le noir, avec cinquante images de maisons individuelles qui défilaient en continu et devenaient, pendant dix secondes, un papier peint géant. Tout avait été pensé pour que les visiteurs se sentent « à la maison », nous avions disposé des meubles domestiques et suspendu des luminaires, de sorte que 90% du hangar 14 était plongé dans cette ambiance. C’était un très bon moment, largement plébiscité par les visiteurs et par la presse. Je pense qu’Agora 2006 a contribué à lancer Agora sur la scène nationale en tant qu’événement architectural majeur.
Quelle est la valeur ajoutée d’Agora selon vous ?
Agora se distingue dans la mesure où cette biennale est à la fois resserrée sur une thématique et dans le temps. Il y a un aspect événementiel évident qui attire tout le monde en même temps. La deuxième caractéristique d’Agora est qu’elle se situe en complète synergie avec les habitants de la ville. Cette biennale est un événement populaire où les Bordelais se rendent massivement.
Voir ce flot ininterrompu de familles a été une des choses les plus satisfaisantes pour moi. Agora ancre le débat dans toute l’agglomération bordelaise qui, pendant quelques jours, vit au rythme de l’architecture. C’est à la fois une problématique intéressante, des thèmes identifiés et passionnants sur lesquels il y a des débats non stop, en pleine visibilité et en plein partage avec les habitants de Bordeaux. Une biennale géniale dans un cadre extraordinaire.
Quel est l’intérêt, la légitimité d’une biennale comme Agora à Bordeaux ?
Bordeaux a une taille de ville très intéressante au niveau européen, c’est une échelle sur laquelle on devrait plus communiquer. L’idée de liens établis entre la ville et le territoire, la ville et sa proche campagne est fondamentale. Les villes géantes d’Asie ou d’Amérique du Sud par exemple, épuisant complètement l’arrière-pays, n’incarnent pas une société urbaine qui fait envie. Une grande partie de la population urbaine vit dans des villes de taille intermédiaire qui peuvent maintenir un équilibre, une qualité de vie et un rapport singulier au paysage.
Bordeaux jouit d’une situation géographique intéressante, face à l’océan, ce n’est ni une ville du Nord ni tout à fait une ville du Sud, elle a une position stratégique attractive. Il est absolument légitime et même très heureux que Bordeaux ait inventé Agora et que, pour une fois, Paris ne rafle pas l’énième événement culturel à la mode. Le paramètre fondamental d’Agora est l’ouverture au public et l’effort de pédagogie pour une ouverture au plus grand nombre, en cela, elle est unique.
Un de vos meilleurs souvenirs d’Agora.
Toutes les réunions de préparation sont de très bons souvenirs. Il y avait un enthousiasme tel pour cet événement ! Un enthousiasme et une fraîcheur de tous nos interlocuteurs à la Ville, des services, de la librairie Mollat au cuisinier étoilé Jean-Marie Amat en passant par tous les intervenants que nous avons sollicités. Un moment très beau aussi est l’émerveillement de tous quand ils ont découvert ce hangar 14 avec les cinquante écrans géants. Franck Tallon, scénographe de l’exposition, avait eu ce coup de génie et ce savoir-faire, de transformer à intervalles réguliers les images de maisons que nous projetions en roses à fleurs vertes. Nous avions souhaité réaliser quelque chose de grande qualité, sans snobisme, pour démontrer que l’on peut attirer beaucoup de monde et susciter l’intérêt avec quelque chose de qualitatif. S’il ne faut travailler que pour les happy fews, mieux vaut changer de métier, moi cela ne m’intéresse pas.
Louis Paillard et Jacques Ferrier lors de la visite inaugurale avec Hugues Martin.
Philippe Gazeau et Franck Tallon aux côtés d’Hugues Martin
Michèle Laruë-Charlus et Jacques Ferrier